lundi 30 novembre 2015

Faut-il craindre le soutien scolaire?

"Le soutien pourrait être la mauvaise conscience du système, l’aiguillon du changement, l’agent d’innovation et de recherche de solutions qui dépasseraient l’action des opérateurs et impliqueraient l’ensemble des maîtres et l’école elle-même." (Philippe Perrenoud)

Le soutien scolaire: de l'ombre à la lumière


Décrié par les défenseurs de la justice sociale qui souhaitent "offrir aux élèves qui en ont besoin ce que les familles aisées trouvent dans le privé" (source), dénoncé comme étant le "marché de l'angoisse et des inégalités" (source), le soutien scolaire est pourtant de plus en plus sollicité. Ainsi, en Belgique au moins un élève sur dix suit une remédiation en dehors de l'école).


Ce phénomène s'éclaire sans doute si on rappelle les quelques chiffres suivants: "60 000 élèves redoublent chaque année en Communauté française de Belgique, près de 70 % des élèves recommencent au moins une année durant leur scolarité, 20 % des élèves quittent l'enseignement sans diplôme à la fin du secondaire" (source).

L'expansion du soutien scolaire dépasse bien entendu nos frontières. Les pays de l'Union Européenne font face à une "irrésistible montée en puissance du soutien scolaire privé" (source), ce que montre avec force Mark Bray (directeur du Centre de recherche en éducation comparée de l'Université de Hongkong) dans un rapport paru en 2011 et intitulé "Le défi de l'éducation de l'ombre". 

D'après ce spécialiste, le phénomène serait parti d'Asie (les "hagwons" de Corée du Sud et les "boîtes à bachotage" taïwanaises l'illustrent) pour gagner ensuite les pays de l'Europe de l'Est (une question de survie pour les enseignants de l'ex-URSS), puis de l'Europe du Sud et de l'Ouest.

M. Bray tente de comprendre à quoi peut être dû l'expansion de cette éducation parallèle. "Dans une certaine mesure, ce phénomène résulte des déficiences du système conventionnel", souligne-t-il dans un article de 2013, avant d'ajouter que l'éducation de l'ombre "reflète également la demande des familles, placées dans des environnements de plus en plus compétitifs."

En Europe de l'Ouest, la France est la championne du soutien scolaire privé. 26,2% des élèves français ont bénéficié de soutien scolaire en 2009, d’après les chiffres de l’OCDE (environ 5 millions d’heures de cours chaque année!). Ni la crise économique, ni les réformes fiscales n'ont pu déstabiliser ce mastodonte qui se nourrirait notamment de nos peurs et angoisses. Selon une étude citée par Le Figaro (source), les parents seraient ainsi poussés à "miser sur le soutien scolaire pour assurer de meilleures perspectives d'avenir à leurs enfants", car "l'obtention d'un diplôme de l'enseignement supérieur protège du chômage".

De toute évidence, les entreprises privées offrant une aide aux apprenants font passer le soutien scolaire de l'ombre à la lumière! Le N°1 Français du genre, Acadomia, en est le parfait exemple: "près de 20.000 enseignants aujourd'hui sur le territoire via 120 agences" (source). De telles structures permettent donc de lutter à la fois contre le chômage et le travail au noir. 

Mais ce que ce phénomène met également en lumière, ce sont les failles du système d'enseignement conventionnel. Proposer des programmes personnalisés d'aide à la réussite aux élèves en difficulté est un dispositif qui ne devrait pas exister en soi, puisqu’il devrait être inhérent aux démarches de l'enseignement ordinaire. Encore faut-il miser sur la qualité et non la quantité!  Or le soutien scolaire privé apporte la preuve que les enseignants ont besoin de liberté pour exercer correctement leur rôle de transmetteurs du savoir. Ce n'est que lorsqu'ils sont passionnant qu'apprendre devient un véritable plaisir.

Le classement PISA 2013 l'a suffisamment montré: "Les pays au top sont ceux qui mettent l'accent sur la sélection et la formation des enseignants. Ils encouragent les profs à travailler ensemble et investissent en priorité dans l'amélioration de leur qualité, et non dans la taille des classes." (source).

Le monde de l'enseignement est en perpétuelle évolution, et ses dirigeants ne cessent de remettre en question les méthodes d'apprentissage. Dans un tel contexte, le soutien scolaire privé peut aussi apporter sa contribution en étant générateur d'idées novatrices. 

Un espace intermédiaire entre la famille et l'école.

Sans véritablement jouer le rôle de médiateur - ce qui impliquerait qu'il soit en contact direct avec les enseignants ordinaires et les familles -, le soutien scolaire sert pourtant de levier à l'apprentissage et de régénérateur de confiance auprès des élèves. Ni maître, ni parent, l'accompagnateur va plutôt être un guide (un tuteur) permettant aux jeunes qu'il soutient de croire à nouveau en eux et/ou de se surpasser.



Le fait est que les structures de soutien scolaire sont devenues presque indispensables, accueillant des proportions significatives d’élèves (8 à 10 % des élèves selon les sources). 


Certains se demandent même si nous ne nous dirigeons pas vers une institutionnalisation des écoles privées d'accompagnement. Dans son livre intitulé L'accompagnement scolaire. Sociologie d'une marge de l'école (PUF, 2001), Dominique Glasman montre que certains indices d'une telle tendance sont aujourd'hui observables, même si, en la matière, cette solution poserait d’autres problèmes. L'auteur envisage également que se mette en place une meilleure coordination avec les acteurs de l’école, dans une éthique de "responsabilité partagée", mais il n'en relève guère de signes sur le terrain.


Mark Bray souligne de son côté plusieurs avantages que l'on peut reconnaître au soutien scolaire: "les cours particuliers aident les élèves à apprendre et, ce faisant, développent leur capital humain, lequel peut à son tour contribuer au développement économique. Le soutien peut aussi avoir des fonctions sociales utiles, en donnant aux enfants et aux jeunes l’occasion d’avoir des contacts constructifs avec leurs pairs et avec d’autres personnes. C’est également une source de revenus pour les enseignants qui le proposent ; enfin, il peut rendre service aux professeurs du système éducatif, en aidant les élèves à comprendre des leçons qu’ils n’auraient peut-être pas comprises par eux-mêmes." (source)

Au final, nous aurions donc tort de craindre le soutien scolaire. Il est en quelque sorte le miroir d'une certaine réalité propre à notre système éducatif (et plus largement à notre société): ce faisant, il peut être un vecteur puissant de réflexion et de progrès.

Nathanaël LAURENT

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